Etude du dénouement de ‘’Hernani’’.
Explication de texte
Acte V scène 6 .
Commençons par rappeler que les scènes finales ont pour fonction de préparer et de réaliser le dénouement. Rappelons aussi que dans ‘’Hernani’’, deux actions sont menées ensemble.
Dans l’acte IV scène 4, se réalise le dénouement de l’intrigue concernant le désir de vengeance d’Hernani. Grâce à la péripétie du pardon de Don Carlos, nommant Hernani chevalier et lui permettant de se marier avec Dona Sol, Hernani se réconcilie avec le roi et renonce par là même à son désir de venger son père, désir qu’il a charrié tout au long de la pièce :
« Don Carlos
Allons ! Relevez –vous, duchesse de Segorbe,
Comtesse Albatera, marquise de Monroy…
A Hernani.
- Tes autres noms, Don Juan ?
Hernani
Qui parle ainsi ? Le roi ?
Don Carlos
Non, l’empereur.
Dona Sol, se relevant.
Grand Dieu !
Don Carlos, la montrant à Hernani
Duc, voilà ton épouse !
(…) Hernani
Je ne hais plus. Carlos a pardonné.
Qui donc nous change tous ainsi ? »
Ce dénouement suscite l’autre, bien tragique, de l’action de la passion entre Hernani et Dona Sol, que nous allons étudier à travers l’explication de texte de la dernière scène de la pièce, acte V scène 6.
Situation évènementielle :
Suite au serment fait à Don Ruy Gomez (acte III scène 7), Hernani n’a pu que tenir sa parole en s’emprisonnant ainsi avec Dona Sol, la nuit de leurs noces.
Unités de sens :
Nous pouvons découper cette scène en quatre unités de sens interdépendantes et complémentaires :
1/ Première unité de sens :
Le bruit du cor de Don Ruy Gomez, rappelle à Hernani qu’il doit s’empoisonner et le met dans un grand embarras. Et pour ne pas inquiéter Dona Sol, la nuit de leurs noces et gâcher sa grande joie et béatitude, il a prétendu être souffrant et l’a envoyée lui chercher un coffret qui contiendrait un flacon qui calmerait sa prétendue souffrance. Revenant bredouille, elle découvre le poison caché par Hernani s’apprêtant à exécuter le serment. Ce qui la met dans un grand désarroi, comme en témoignent ses phrases interrogatives et exclamatives, à rythme saccadé.
Et les apartés soulignent, par là même, l’inquiétude de nos deux personnages :
« Hernani, à part,
Dieu ! C’est elle !
Dans quel moment !
Dona Sol
Qu’a-t- il ? Je l’effraie, il chancelle
A ma voix ! –Que tiens-tu dans ta main ? Quel soupçon !
Que tiens-tu dans ta main ? Réponds
Le domino se démasque. Elle pousse et reconnaît Don Ruy
- C’est du poison ! »
La grande affliction d’Hernani est soulignée, dans cette unité, par l’assonance aiguë en [i] s’adaptant parfaitement à ses cris de douleur :
« Hernani
Ah ! J’ai dû te le taire.
J’ai promis de mourir au duc qui me sauva.
Aragon doit payer cette dette à Silva. »
Hernani, ayant le sens de l’honneur, est contraint de tenir sa promesse et d’exécuter le serment. Il se voit déjà mort ! C’est ainsi qu’il parle de lui à la troisième personne tout en utilisant, à deux reprises, le verbe « devoir ».
2/ Deuxième unité de sens :
Dans cette unité, Dona Sol se révolte et s’emporte d’une manière très violente et agressive contre le duc, en montrant une certaine force de caractère :
Son emportement est de prime abord souligné par l’assonance en [r] :
« A don Ruy Gomez
Duc, l’amour me rend forte.
Contre vous, contre tous, duc, je le défendrai. »
Face à la grande colère de Dona Sol, Don Ruy Gomez garde un certain calme (cf. la didascalie ‘’reste immobile’’) tout en évoquant le serment juré d’Hernani contre lequel elle ne peut rien faire. Ce qui provoque une grande agitation et affolement de Dona Sol s’exprimant à travers
des répliques à rythme saccadé, tout en essayant vainement de dissuader Hernani :
« Non, non ; rien ne te lie ;
Cela ne se peut pas ! Crime, attentat, folie ! »
Et soulignons à ce propos, l’assonance en [a], voyelle éclatante s’adaptant à la grande colère et à la grande rage de Dona Sol. De même, sa grande agressivité est mise en valeur par le champ lexical : « tigres », « rage », « poignard » (répété à trois reprises.) « Craignez », « le fer », « menacé », « prenez garde », « malheur » :
« Dona Sol, à Don Ruy
Il vaudrait mieux pour vous aller aux tigres même
Arracher leurs petits, qu’à moi celui que j’aime.
Savez-vous ce que c’est que Dona Sol ? longtemps,
Par pitié pour votre âge et pour vos soixante ans,
J’ai fait la fille douce, innocente et timide ;
Mais voyez-vous cet œil de pleurs de rage humide ;
Elle tire un poignard de son sein.
Voyez-vous ce poignard ? Ah ! vieillard insensé,
Prenez-garde, don Ruy ! je suis de la famille,
Mon oncle ! écoutez-moi, fussé-je votre fille,
Malheur si vous portez la sur mon époux ! ... »
Et les fréquentes exclamations et interrogations rhétoriques ne peuvent, de même, qu’appuyer les affirmations agressives de Dona Sol.
3/ La troisième unité de sens déclenche un coup de théâtre : à l’agressivité et à la révolte contre le duc dans l’unité précédente, succède soudainement une surprenante faiblesse suscitant les supplications de Dona Sol.
Il s’agit de l’un des fréquents revirements des personnages dans la pièce de Victor Hugo :
« Elle jette le poignard et tombe à genoux devant le duc.
Ah ! Je tombe à vos pieds ! Ayez pitié de nous !
Grâce ! Hélas ! Mon seigneur, je ne suis qu’une femme,
Je suis faible, ma force avorte dans mon âme,
Je me brise aisément, je tombe à vos genoux !
Ah ! Je vous en supplie ayez pitié de nous ! »
Très accablée et affaiblie, Dona Sol demande pitié à Don Ruy Gomez ; Elle le supplie de lui pardonner son emportement et sa colère. Ainsi, une tonalité bien pathétique se dégage de l’unité de sens.
Dans le même ordre d’idée, un champ lexical de la soumission ne peut être que bien évocateur à ce propos :
« Jette », « tombe » (répété à 3 reprises), « genoux » (répété à 2 reprises), « pieds » « pitié » (répété à 2 reprises) « grâce », « Hélas », « femme », « faible », « avorte », « me brise », « supplie».
Soulignons aussi que les assonances nasales en [m] et en [n] font encore plus ressortir cet émouvant abattement de Dona Sol. Devant les supplications et les implorations touchantes de Dona Sol, lui affirmant qu’elle l’aimerait bien aussi, Don Ruy Gomez reste de marbre et révèle sa jalousie envers Hernani :
« Montrant Hernani.
Il est seul ! Il est tout ! Mais, moi, belle pitié !
Qu’est -ce que je peux faire avec votre amitié ?
Ö rage ! Il aurait, lui, le cœur, l’amour, le trône,
Et d’un regard de vous, il me ferait l’aumône !
Et s’il fallait un mot à mes vœux insensés,
C’est lui qui vous dirait : - Dis cela, c’est assez ! –
En maudissant tout bas le mendiant avide
Auquel il faut jeter le fond du verre vide.
Honte ! Dérision ! Non, il faut en finir.
Bois ! »
Hernani se voit contraint d’accepter :
« Il a ma parole, et je dois la tenir. »
C’est ainsi que Dona Sol continue de les implorer tous les deux, en retardant au maximum le geste fatal :
« Dona Sol, lui retenant toujours le bras.
Vous voyez bien que j’ai mille choses à dire ! ».
4/ Il s’agit, dans la quatrième unité de sens, d’un autre coup de théâtre : Dona sol arrache la fiole, à Hernani en poussant un cri de triomphe ; elle est enfin arrivée à ce qu’elle voulait, et dirige désormais l’action comme bon lui semble ; c’est elle qui, maintenant, se fait prier :
« Elle lui arrache la fiole.
Je l’ai !
Elle lève la fiole aux yeux d’Hernani et du vieillard étonné. »
Irrité, Don Ruy Gomez ne s’empêche pas de mépriser Hernani, en le traitant sarcastiquement de « femme », et en lui rappelant par là même le serment juré sur la tête de son père :
« Puisque je n’ai céans qu’à deux femmes,
Don Juan, il faut qu’ailleurs j’aille chercher des âmes.
Tu fais de beaux serments par le sang dont tu sors,
Et je vais à ton père en parler chez les morts !
-Adieu ! ... »
C’est ainsi qu’Hernani se met, vainement, à supplier Dona Sol pour qu’elle lui rende le poison : « A Dona sol.
Hélas ! je t’en conjure,
Veux-tu me voir faussaire, et félon, et parjure ?
Veux-tu que partout j’aille avec la trahison
Ecrite sur le front ? Par pitié, ce poison,
Rends- le -moi ! Par l’amour, par nôtre âme immortelle… »
Et la gradation souligne bien qu’Hernani n’a pas d’autre alternative que de se soumettre au Duc et de boire le poison.
Un nouveau coup de théâtre, dans cette série menant au dénouement : Dona Sol boit brusquement de la fiole et donne sa « part » de poison à Hernani, enragé contre Don Ruy Gomez qu’il méprise.
Etrangement, elle retrouve, après avoir bu, une certaine sérénité ;
« Tu ne m’aurais pas laissé la mienne.
Tu… n’as pas le cœur d’une épouse chrétienne.
Tu ne sais pas aimer comme aime une Silva.
Mais j’ai bu la première et je suis tranquille.
Bois si tu veux ! ».
Même si Hernani trouve cette « mort affreuse », Dona Sol lui réplique :
« Non- pourquoi donc ? ».
Ce thème classique d’une mort salvatrice et salutaire, comme unique issue pouvant délivrer le personnage de son Mal, on le retrouve dans plusieurs œuvres romantiques.
Ainsi, dans un style bien touchant et pathétique, Dona Sol s’exclame :
«Devions-nous pas dormir ensemble cette nuit ?
Qu’importe dans quel lit ! »
Dans un style imagé, elle abandonne son ton serein, se jette sur Hernani et essaie de le dissuader de boire, tout en évoquant ses propres douleurs :
« Dona Sol se jetant sur lui.
Ciel ! des douleurs étranges !...
Ah ! jette loin de toi ce philtre ! ...ma raison
S’égare. -Arrête ! hélas ! mon Don Juan ! ce poison
Est vivant, ce poison dans le cœur fait éclore,
Une hydre à mille dents qui ronge et qui dévore !
Oh ! je ne savais pas qu’on souffrit à ce point !
Qu’est-ce donc que cela ? c’est du feu ! n’en bois point !
Oh ! tu souffrirais trop ! »
Toujours en méprisant Don Ruy Gomez, en le rendant responsable de tous ses malheurs, « Il boit et jette la fiole ».
Dona Sol et Hernani « s’asseyent l ’un près de l’autre », et passent ainsi leur funeste nuit de noces, leurs ultimes moments. Nous sommes en plein dans la tragédie ; et le pathétique atteint son point culminant :
« Dona Sol
Voilà notre nuit de noces commencée !
Je suis bien pâle, dis, pour une fiancée !
Hernani
Ah !
Don Ruy Gomez
La fatalité s’accomplit.
Hernani
Ö tourments ! Dona Sol souffrir et moi le voir !
Dona Sol
Calme-toi ! je suis mieux- Vers des clartés nouvelles
Nous allons tout à l’heure ensemble ouvrir nos ailes.
Partons dans un vol égal vers un monde meilleur.
Un baiser seulement, un baiser !
Ils s’embrassent.
(…) Hernani d’une voix affaiblie.
Oh ! béni soit le ciel qui m’a fait une vie,
D’abîmes entourée de spectres suivie.
Mais, qui permet que, las d’un rude chemin,
Je puisse m’endormir sur ta main. »
Deux thèmes et deux champs lexicaux se côtoient : l’amour et la mort, thèmes bien classiques, très récurrents dans les tragédies.
Un autre thème hérité, c’est celui de l’amour destructeur détruisant et menant les personnages qui en sont victimes, inéluctablement et fatalement à la mort. Par ailleurs, usant d’une réplique jalonnée de points de suspension, et « d’une voix de plus en plus faible », Hernani, jusqu’à ses derniers instants, ne se préoccupe que de Dona Sol : « Viens…viens…dona Sol, tout est
[sombre …
Souffres-tu ? »
Et c’est en gardant une lueur d’espoir qu’il décède :
« Hernani
Vois-tu des feux dans l’ombre ?
Dona Sol
Pas encore.
Hernani avec un soupir.
Voici…
Il tombe. »
Dona Sol est tellement choquée, et n’arrive pas à réaliser la mort d’Hernani qu’elle sombre dans un état d’égarement tout en s’écriant, « échevelée, et se dressant à demi sur son séant », d’une manière bien poignante :
« Mort ! non pas ! ...nous dormons.
Il dort ! c’est mon époux, vois-tu, nous nous aimons.
Nous sommes couchés là. C’est notre nuit de noces.
D’une voix qui s’éteint.
Ne le réveiller pas, seigneur duc de Mendoce
Il est las.
Elle retourne la figure d’Hernani.
Mon amour, tiens-toi vers moi tourné.
Plus près…plus près encore…
Elle retombe. »
Les deux morts sont suivies de la mort de Don Ruy Gomez, ce qui ne fait qu’accentuer le tragique. Il est enfin indéniable, qu’un tel dénouement n’a rien à envier à ceux des grandes tragédies classiques.