Initiation aux « Caprices de Marianne » d’Alfred de Musset.
Cette initiation s’articule autour de quelques idées fondamentales et nécessaires à une bonne compréhension de l’œuvre :
1/ Pièces fondamentales d’Alfred de Musset : « Les Caprices de Marianne », comédie en deux actes ayant toutes les caractéristiques du drame, publiée en 1833 ; « On ne badine pas avec l’amour », comédie en trois actes, publiée en 1834 ; « Lorenzaccio », drame en cinq actes, publié en 1834 ; « Fantasio », comédie posthume en deux actes, publiée en 1834 et Créée en 1866.
2/ « Un spectacle dans un fauteuil » :
Le théâtre d’Alfred de Musset, comme il le définit lui-même, est « un spectacle dans un fauteuil ». L’auteur informe le lecteur, que ses pièces sont destinées à la lecture. La dimension esthétique du texte est, ainsi, mise en valeur au détriment de la théâtralité et de la mise en scène.
3/ Analyse du titre « Les Caprices de Marianne » : On entend généralement par le mot « caprice », une décision soudaine et irréfléchie.
Les caprices de Marianne dans la pièce d’Alfred de Musset se résument à :
-- elle décide de chercher un amant ; Coelio lui déplait, et elle est séduite par Octave qu’elle essaie, tout au long de la pièce, de séduire ; -- elle lui donne un rendez-vous ; -- elle lui déclare son amour, tout près de la tombe de Coelio.
4/ une ambiguïté volontaire :
Cette ambiguïté, bien chère au dramaturge, est en fait un procédé moderne incitant le lecteur à lire et à relire, pour bien saisir.
Signalons quelques idées témoignant de cette imprécision caractéristique de l’œuvre de l’auteur des « caprices de Marianne » :
Naples, dans la pièce, est le fruit de l’imagination la plus fantaisiste de l’auteur égarant le spectateur/lecteur ;
Le féminisme de Marianne nous installe au dix-neuvième siècle, alors que l’évocation des sérénades nous situe au moyen âge ou à la renaissance ;
Les noms des personnages de la pièce basculent entre des noms français (Marianne, Octave) et des noms italiens (Coelio, Tibia, Claudio… ! S’agit-il de la France ou de l’Italie ?
C’est dans cette perspective aussi, que nous pouvons saisir les fréquents lieux évoqués, volontairement et sarcastiquement indéterminés, tels que « une rue », « une autre rue » … Décidément, le dramaturge fait tout pour nous égarer et nous empêcher de nous fixer dans un lieu ou dans un temps bien déterminé.
5/ Un passé refuge :
Pour échapper à la censure de leur époque, les romantiques ont souvent dissimulé la dénonciation des tares de leur société, derrière leurs habituelles références trompeuses à un passé lointain et salutaire. Toutefois, l’œuvre de Musset, entre autres, a été censurée. Ce n’est qu’en 1851 qu’elle a pu enfin être représentée, avec la suppression de tous les passages compromettants.
6/ L’auteur et ses personnages :
Marianne : C’est par l’intermédiaire de son personnage qui est parfois son porte-parole, que le dramaturge dénonce, dans sa pièce, la condition défavorable et dégradée de la femme au dix-neuvième siècle par Marianne féministe. C’est ainsi qu’elle affirme à Octave, toute indignée, dans la première scène du deuxième acte :
« Mon cher cousin, est-ce que vous ne plaignez pas le sort des femmes ? Voyez un peu ce qui m’arrive : il est décrété par le sort que Coelio m’aime, ou qu’il croit m’aimer, lequel Coelio le dit à ses amis, lesquels amis décrètent à leur tour que, sous peine de mort, je serai sa maitresse. ». Et elle ajoute sarcastiquement :
« Qu’est-ce après tout qu’une femme ? L’occupation d’un moment, une coupe fragile qui renferme une goutte de rosée, qu’on porte à ses lèvres et qu’on jette par-dessus son épaule. Une femme ! c’est une partie de plaisir ! ...».
Coelio et Octave : Sont les deux faces de la personnalité de Musset : comme Coelio, Musset a toujours été un idéaliste en quête d’un amour idéal et unique, et il a de même été un grand libertin, comme son personnage Octave.
Claudio : Ce juge, abusant de ses pouvoirs et se transformant, à la fin de la pièce, en criminel impuni, permet au dramaturge de dénoncer l’injustice sociale de son époque
La transgression des règles classiques fondamentales dans « Les caprices de Marianne » d’Alfred de Musset.
La violation des règles classiques, est parmi les caractéristiques les plus éminentes du romantisme, c’est ce que nous allons étudier dans l’œuvre de Musset :
La pièce d’Alfred de Musset est écrite en prose, et s’articule autour de deux actes, en bafouant ainsi les deux règles fondamentales du classicisme. A ce propos, Jacques Scherer écrit dans « La dramaturgie classique en France » :
« Le grand goût (…) exige donc, que la pièce comique ou tragique, comprenne cinq actes. Il exige aussi qu’elle soit en vers (…) Il n’y a pas d’esthétique de la pièce de théâtre en prose à l’époque classique ».
Quant à la fameuse règle des trois unités, elle est ainsi enfreinte :
1/ Dans la pièce de Musset, à l’encontre de la règle classique de l’unité de lieu imposant un seul décor et un seul lieu, le dramaturge change de lieu en passant d’une scène à une autre : - Premier acte, première scène : ‘’une rue devant la maison de claudio’’ ; - Premier acte, deuxième scène : ‘’la maison de Coelio’’ ; - Premier acte, troisième scène : ‘’le jardin de claudio’’ ; - Deuxième acte, première scène : ‘’une rue’’ ; - Deuxième acte, deuxième scène : ‘’une autre rue’’ ; - Deuxième acte, troisième scène :’’ chez Claudio’’ ; - Deuxième acte, quatrième scène : ‘’chez Coelio’’ ; - Deuxième acte, cinquième scène : ‘’le jardin de Claudio – Il est nuit.’’ ; - Deuxième acte, sixième scène : ‘’un cimetière’’.
2/ L’unité de temps classique impose une durée de 24 heures à toute histoire représentée. C’est ce qui est respecté jusqu’à la cinquième scène du deuxième acte. Cependant, la dernière scène se déroulant dans « un cimetière » vient tout remettre en question tout en supposant une durée indéterminée, dépassant largement une journée.
3/ En ce qui concerne l’unité d’action, dans « Les caprices de Marianne », nous avons deux actions essentielles autour desquelles s’articule toute la pièce, au lieu d’une seule action principale :
a / L’amour voué par Coelio à Marianne ;
b / L’amour voué par Marianne à Octave.
D’autres actions secondaires viennent, de même, se rattacher à ces deux actions dans une « unité d’ensemble », telles que : l’amitié entre Coelio et Octave, les soupçons de Claudio à l’égard de sa femme, et le libertinage d’Octave.
La vraisemblance, comme nous l’avons vu précédemment, est intentionnellement enfreinte dans la pièce par cette imprécision bien voulue par le dramaturge refusant de donner l’illusion du vrai.
La règle de bienséance n’est pas, de même, respectée :
a/ le non-respect de la bienséance externe :
En fait, si la pièce a été censurée, c’est à cause de quelques passages choquants enfreignant toute bienséance, tels que :
-- le fait de ridiculiser un notable ou un juge et d’en faire un criminel ;
-- l’immoralité de Marianne, une femme mariée cherchant un amant ;
-- Octave prônant son libertinage, dans un état d’ivresse ;
Voilà autant de passages choquant le bon sens du spectateur.
b/ « les caprices de Marianne » n’obéit pas non plus à la règle de la bienséance interne :
En effet, dans la pièce de Musset, les personnages ne gardent pas un caractère stable :
-- Octave apparait au début de la pièce comme un libertin joyeux prônant son libertinage, mais il renoncera à cette manière de vivre.
-- Marianne apparait au début comme une femme mariée, bien vertueuse et pieuse, « un livre de messe à la main ». Cependant, elle ne tardera pas à se métamorphoser en une femme capricieuse, à la recherche d’un amant.
-- Claudio n’agit pas selon son statut social de juge censé combattre toute forme de criminalité. C’est ainsi qu’il organisera, lui-même, l’assassinat de Coelio.
Mentionnons une autre règle classique transgressée : tout au long de la pièce, les personnages entrent et sortent comme bon leur semble, sans aucun changement de scène, comme le veut la règle.
Voilà enfin, à l’instar de tous les drames romantiques, comment, dans « Les caprices de Marianne », les plus importantes règles classiques, entre bien d’autres, sont enfreintes.