’ d’Alfred de Musset.
Pour l’étude du dénouement entier de l’œuvre de Musset, il faudrait commencer d’abord par étudier la cinquième scène du deuxième acte qui met fin à la vie de Coelio, et par conséquent à son amour pour Marianne ; et ce n’est qu’après l’étude du dénouement de la première intrigue que nous pouvons étudier celui de la seconde.
Explication de texte - Acte II scène 5.
Selon la première didascalie, la scène est représentée dans le jardin de Claudio et il est nuit, moment certes propice pour le crime. D'autre part, jusque-là, l’unité classique de temps est encore respectée. Elle ne le sera plus, dans la dernière scène, comme nous le verrons plus tard.
Situation événementielle :
Après avoir reçu la lettre de Marianne l’avertissant du traquenard organisé par son mari, Octave ayant envoyé, sans le savoir, Coelio au danger, vient rapidement secourir son ami, mais trop tard.
Unités de sens :
Cette scène s’articule autour de deux unités de sens complémentaires : la première consiste dans l’assassinat de Coelio ; et la seconde, dans l’arrivée tardive d’Octave.
1/ Dans la première unité de sens, Croyant qu’il est attendu par Marianne, Coelio vient la voir tout enthousiaste, mais un guet-apens l’attend.
Le juge Claudio entouré de deux assassins et de Tibia, se comporte comme le chef de la bande des criminels, et c’est lui qui organise le crime, méprisant ainsi son statut social : la règle de bienséance interne est totalement outrepassée :
« Claudio- Laissez-le entrer et jetez-vous sur lui dès qu’il sera arrivé à ce bosquet.
Tibia- Et s’il entre par l’autre côté ?
Claudio- Alors attendez-le au coin du mur.
Un spadassin- Oui Monsieur. »
C’est ainsi qu’il donne ses ordres, et se fait obéir, à travers ses fréquents impératifs.
De même, en usant de la première personne du pluriel, Claudio confirme son adhésion catégorique aux spadassins :
« Claudio- retirons-nous à l’écart, et frappons quand il en sera temps. (Entre Coelio) ».
Par ailleurs, croyant qu’il s’agit d’Octave, Marianne paraissant à la fenêtre, l’avertit que la maison est entourée d’assassins, et lui conseille de fuir le danger qui le menace.
Croyant avoir été trahi par son ami, Coelio est au comble de la stupéfaction et du désespoir. Et c’est ainsi qu’il balbutie dans ses apartés :
« Coelio- Seigneur mon Dieu ! Quel nom ai-je entendu ? »
« Coelio-Est-ce un rêve ? Suis-je Coelio ».
Et Marianne, en donnant un rendez-vous à Octave, dans un confessionnal de l’église, n’a fait que renforcer encore plus le malentendu, aux yeux de Coelio.
C’est ainsi que Coelio annonce le dénouement de sa grande passion pour Marianne en appelant la mort à son secours comme unique salut pouvant le délivrer de ses maux, tout en la personnifiant :
« Coelio- ô mort ! puisque tu es là, viens donc à mon secours. Octave traître Octave ! puisse mon sang retomber sur toi. Puisque tu savais quel sort m’attendait ici, et que tu m’y as envoyé à ta place, tu seras satisfait dans ton désir. Ô mort ! je t’ouvre les bras, voici le terme de mes maux. »
Enfin, la didascalie qui clôt l’unité de sens est la suivante :
« (Il sort. On entend des cris étouffés et un bruit éloigné dans le jardin.) »
Le dramaturge laisse jusqu’à la fin, le spectateur/lecteur dans la confusion totale. La mort de Coelio est annoncée de manière vague, et on ne peut que supposer que les cris sont ceux de Coelio assassiné, et que les bruits de pas sont ceux des spadassins qui ont emmené le cadavre, on ne sait où.
2/ Dans la deuxième unité de sens, il s’agit de l’arrivée tardive d’Octave, voulant secourir son ami de l’embuscade où il l’a envoyé, sans le savoir.
Il est enragé contre Claudio, et menace d’enfoncer les portes :
« Octave, en dehors- Ouvrez ou j’enfonce les portes !
Claudio, ouvrant, son épée sous le bras- Que voulez-vous ?
Octave- Où est Coelio ?
Claudio- Je ne pense pas que son habitude soit de coucher dans cette maison.
Octave-Si tu l’as assassiné Claudio, prends garde à toi ; je te tordrais le coup de ces mains que voilà. »
Et si ce pléonasme d’Octave souligne sa grande hargne, son tutoiement exprime son grand mépris pour Claudio. Par contre, celui-ci reste inébranlable, et se permet même de faire du sarcasme. Il invite Coelio et ses gens à chercher partout, et il demande bassement à Tibia, selon ses propres vocables, si tout est fini comme il l’a ordonné. Celui-ci lui répond avec certitude :
« Tibia- Oui Monsieur ; soyez en repos, ils peuvent chercher tant qu’ils voudront. (Tous sortent) ».
Explication de texte – Acte II scène 6.
La première didascalie de la scène (« Un cimetière ») exprime un décor macabre s’adaptant à l’atmosphère tragique de la scène, suscitée par la mort de Coelio. Cette indication scénique laisse présager qu’il y a eu une durée indéterminée, dépassant largement une journée, entre l’assassinat et la rencontre. Ainsi, le dramaturge a attendu jusqu’à la dernière scène de la pièce pour enfreindre la règle classique de l’unité de temps.
La seconde didascalie : « Octave et Marianne auprès d’un tombeau », comme la première, laisse volontairement le spectateur/lecteur dubitatif, dans sa confusion totale : s’agit-il vraiment du tombeau de Coelio ? Effectivement, le dramaturge a décidé, jusqu’à la fin, de nous égarer.
Situation événementielle : Après la mort de Coelio, Marianne et Octave se retrouvent auprès de son tombeau.
Unités de sens : Nous pouvons découper la scène en deux unités de sens : 1- l’hommage rendu par Octave à Coelio, 2- la séduction et la déclaration d’amour de Marianne.
1/ Dans la première unité de sens, Octave rend un ultime hommage à son défunt ami.
Il monopolise la parole, en réduisant Marianne au silence. Celle-ci est carrément effacée de l’unité.
Sa longue tirade s’adapte parfaitement à sa grande désespérance et à tout ce qu’il a envie de révéler à cette « âme tendre et délicate ». Il commence par comparer Coelio à « cette urne d’albâtre, couverte de ce long voile de deuil ».
L’albâtre, ce minéral reconnu pour son extrême blancheur, connoterait volontiers la pureté et l’innocence de Coelio, alors que le « voile de deuil » rappellerait son habituel costume noir exprimant « une douce mélancolie ».
Octave s’écrie de même, se remémorant ses souvenirs : « Les longues soirées que nous avons passées ensemble sont comme de fraîches oasis dans un désert aride ; elles ont versé sur mon cœur les seules gouttes de rosées qui y soient jamais tombées. Coelio était la bonne partie de moi-même, elle est remontée au ciel avec lui ; c’était un homme d’un autre temps ; il connaissait les plaisirs et leur préférait la solitude ; il savait combien les illusions étaient trompeuses, et il préférait ses illusions à la réalité ».Ainsi le passé composé, étant le temps du souvenir, convient parfaitement à la remémoration des « longues soirées » d’Octave avec Coelio, alors que l’imparfait immortalise ses souvenirs.
De même, il reconnaît en son ami un grand rêveur bien conscient de ses chimères qu’il préférait à la réalité.
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2/ Dans la deuxième unité de sens, Marianne essaie de se rapprocher d"Octave et finit par lui déclarer son amour . Dès le début de l’unité, elle montre qu’elle se désintéresse de la mort de Coelio, et que seul Octave l’intéresse :
« Marianne- Ne serait-elle point heureuse, Octave, la femme qui t’aimerait ? » lui affirme-t-elle. Et son tutoiement est bien révélateur à ce propos.
Octave, lui, n’est obsédé que par la disparition de son ami qu’il chérissait tant, et par rapport auquel, il se dévalorise dans sa longue réplique :
« Octave- Je ne sais point aimer, Coelio, seul le savait. La cendre que renferme cette tombe est tout ce que j’ai aimé sur la terre, tout ce que j’aimerais. Lui seul savait verser dans une autre âme toutes les sources de bonheur qui reposaient dans la sienne. Lui seul était capable d’un dévouement sans bornes (…) je ne suis qu’un débauché sans cœur ; je n’estime point les femmes… »
L’hyperbole « Coelio seul le savait » ainsi que l’anaphore « lui seul » qui ponctue la tirade, soulignent la grande admiration vouée par Octave à Coelio. Le "je" très fréquent d'Octave est une marque de lyrisme à travers quoi, il exprime sa profonde amertume .
Vers la fin de sa tirade, s’opère, chez Octave, une désillusion qui le fera renoncer, juste après, à son libertinage.
Remarquons toutefois, que la longueur des répliques d’Octave par rapport à la brièveté de celles de Marianne, est bien significative. Rappelons qu’au théâtre, « la prise de la parole est une prise de pouvoir » ; les personnages qui parlent plus longuement, sont généralement plus importants que ceux s’exprimant brièvement.
Et dès qu’il avoue qu’il est lâche et qu’il a dû venger la mort de son ami, Marianne lui réplique immédiatement :
« Marianne- Comment aurait-t-elle pu l’être, à moins de risquer votre vie ? Claudio est trop vieux pour accepter un duel, est trop puissant dans cette ville pour rien craindre de vous. ».
A travers son personnage, le dramaturge dénonce quelques tares sociales telles que l’injustice et l’abus de pouvoir.
Bref, après avoir fait sienne la mort de Coelio en se l'appropriant, Octave dit adieu à sa vie de libertin : « Octave -… Ce tombeau m’appartient ; c’est moi qu’ils ont étendu sous cette froide pierre, c’est pour moi qu’ils avaient aiguisé leurs épées, c’est moi qu’ils ont tué. Adieu la gaieté de ma jeunesse, l’insouciante folie ; la vie libre et joyeuse au pied du Vésuve ! Adieu les bruyants repas, les causeries du soir, les sérénades sous les balcons dorés ! Adieu Naples et ses femmes… ». Son renoncement au libertinage , appuyé par l’anaphore « Adieu », est un coup de théâtre.
Enfin, quand Marianne lui déclare son amour, Octave répond sèchement tout en gardant la promesse qu’il a faite à Coelio :
« Octave- Je ne vous aime pas, Marianne ; c’était Coelio qui vous aimait ! »