Explication de texte
« Les caprices de Marianne » d’Alfred de Musset
Acte I scène 1
Situation événementielle :
Fou amoureux de Marianne, Coelio envoie Ciuta puis Octave pour défendre sa cause auprès de celle qu’il aime. Celle-ci refuse de manière intransigeante.
Unités de sens :
Nous pouvons découper la scène en quatre unités de sens complémentaires :
1/ Dans la première unité, Ciuta aborde Marianne et l’informe sur la grande passion que lui voue Coelio :
Cette unité commence par renseigner le lecteur sur le premier décor : « une rue devant la maison de Claudio ». Notons, dans cette didascalie, une indétermination bien voulue par le dramaturge. Ce qui réfute toute vraisemblance revendiquée par le classicisme, et par là même remet en cause toute intention de donner l’illusion du vrai.
A travers la seconde didascalie, Marianne est présentée au lecteur comme une femme vertueuse, « un livre de messe à la main ».
L’exposition nous apprend, de même, que Coelio « est d’une noble famille ».
Malgré toute la bienveillance et la persuasion de Ciuta, Marianne se montre bien distante et peu cordiale :
« Dites à celui qui vous envoie qu’il perd son temps et sa peine et que s’il a l’audace une seconde fois de me faire entendre un pareil langage, j’en instruirai mon mari. ».
Ce refus irrévocable de Marianne, déclenche la première action consistant dans l’amour impossible que lui voue Coelio. Apprenant ce refus, Coelio, un personnage bien idéaliste victime d’un amour impossible le menant à la mort, s’écrie, d’une manière préventive :
« Ah ! malheureux que je suis, je n’ai plus qu’à mourir ! »
Par ailleurs, les fréquentes entrées et sorties des personnages, dans cette unité de sens (la sortie de Mariamne, l’entrée en scène de Coelio, el la sortie de ce dernier accompagné de Ciuta.), ne peuvent être perçues que comme un non- respect de la règle classique exigeant un changement de scène.
Tout à la fin de l’unité, Coelio accompagné de Ciuta sortent en laissant le plateau vide. Ce qui est inadmissible et interdit par les classiques prônant telle ou telle autre liaison entre les scènes. La plus importante d’entre elles est la liaison de présence selon laquelle, il doit rester, sur le plateau, au moins un personnage de la scène précédente.
2/ La deuxième unité de sens commence par l’entrée en scène de Claudio et de Tibia, et se termine par leur sortie.
Dans cette unité, claudio expose à Tibia son stratagème de « se débarrasser » de l’amant de sa femme.
L’exposition informe le spectateur/lecteur sur la relation entre les deux personnages. Tibia est le valet de Claudio, ce qui est souligné par le tutoiement de l’un, et le vouvoiement de l’autre.
Claudio apprend à son serviteur qu’il a l’intention de se venger d’un outrage », et qu’il est souvent contrarié par « ces impudentes guitares(qui) ne cessent de murmurer sous la fenêtre de sa femme. ». C’est ainsi que s’effectue l’intrusion du comique pour détendre l’atmosphère bien tendue, et les deux genres continuent à se côtoyer au sein de l’unité à travers des truchements métaphoriques tels que : « une odeur d’amants », « il y pleut de guitares des entremetteuses » …
Claudio charge son serviteur d’aller lui chercher le spadassin dont il lui a parlé, parce qu’« (il) croit que Marianne a des amants. ». Et malgré les fréquentes tentatives de dissuader son maître de renoncer à ses présomptions, c’est toujours en vain devant la détermination de Claudio entrain d’organiser un stratagème pour « se débarrasser du premier venu », selon son propre euphémisme, afin de ne pas choquer davantage Tibia.
La règle de bienséance interne est, de même, outrepassée : Claudio n’agit pas selon son statut social.
A la fin de l’unité, les deux personnages sortent laissant la scène vide, contrecarrant la règle classique.
3/ Dans cette autre unité de sens, nous assistons à l’entrée en scène d’Octave. Coelio le supplie de témoigner en sa faveur auprès de Marianne :
L’unité commence par le monologue de Coelio, se lamentant sur son sort, tout en se plaignant de « son amour sans espoir ». Et Il se compare à celui qui est :
« … Mollement couché, dans une barque, (et qui) s’éloigne peu à peu de la rive, il aperçoit au loin des plaines enchantées, de vertes prairies et le mirage léger de son Eldorado. Les vents l’entrainent en silence, et, quand la réalité le réveille, il est aussi loin du but où il aspire que du rivage qu’il a quitté, il ne peut ni poursuivre sa route ni revenir sur ses pas. ». Le monologue s’effectue à travers une longue métaphore filée qui évoque l’image de la dérive, et souligne une dichotomie rêve/réalité appuyant, dès lors, l’aspect dualiste du romantisme basculant entre rêve et réalité. En fait, le rêveur finit toujours par se heurter à « la réalité qui le réveille ».
En entrant en scène, Octave taquine son ami Coelio en faisant allusion à sa « gracieuse mélancolie ». Et l’oxymore est bien ironique. Octave est présenté au spectateur comme un fêtard, un libertin, et Coelio lui reproche sa manière de vivre qu’il compare à un suicide :
« Coelio - Combien de temps cela durera- t-il ? huit jours hors de chez toi ! Tu te tueras, Octave. ».
Les deux amis continuent à se taquiner mutuellement , et le parallélisme juxtapose leurs caractères tout en les opposant :
« Octave- Comment se porte mon bon Monsieur, cette gracieuse mélancolie ?
Coelio- Octave ! ô fou que tu es ! tu as un pied de rouge sur les joues ! –D’où te vient cet accoutrement ? N’as-tu pas de honte en plein jour ? Octave- ô Coelio ! fou que tu es ! tu as un pied de blanc sur les joues ! - D’où te vient ce large habit noir. N’as-tu pas de honte en plein carnaval ? »
C’est ainsi que Coelio reproche à Octave son libertinage, alors que celui-ci reproche à celui-là sa grande mélancolie et son pessimisme exprimé à travers son « habit noir ».
D’un autre côté, l’apparition d’Octave tout « gris », tout ivre sur scène, enfreint largement la règle classique de bienséance, et cela a été perçu comme l’une des causes de la censure des « Caprices de Marianne ».
Coelio finit ainsi par avouer à son ami, son amour contrarié :
« Octave- ou tu es amoureux, ou je le suis moi-même. Coelio- plus que jamais de la belle Marianne. Octave- plus que jamais de vin de chypre. »
Et l’hyperbole de Coelio, est bien révélatrice de son grand amour impossible.
C’est ainsi que les deux amis continuent à se faire des reproches comme en témoigne le chiasme :
« Coelio- que tues heureux d’être fou. Octave-que tu es fou de ne pas être heureux ! ... »
Coelio parle à Octave de son amour sans espoir, de ses fréquentes et vaines sérénades, et le supplie, dès lors, d’intercéder en sa faveur, auprès de Marianne :
« (…) depuis un mois j’erre autour de cette maison la nuit et le jour. Quel charme j’éprouve, au lever de la lune, à conduire sous ces petits arbres, au fond de cette place, mon chœur modeste de musiciens, marquer moi-même la mesure, à les entendre chanter la beauté de Marianne ! jamais elle n’a paru à la fenêtre ; jamais elle n’est venue appuyer son front charmant sur sa jalousie. ».
L’anaphore’ ’jamais’’ est bien significative de cet amour « qui trouble (sa) vie entière ».
Marianne est toujours présentée au lecteur, dans cette scène d’exposition, comme une honnête femme mariée irréprochable, caractère qu’elle ne gardera pas longtemps :
« Coelio- Tous les moyens que j’ai tentés pour lui faire connaître mon amour ont été inutiles. Elle sort du couvent ; elle aime son mari et respecte ses devoirs. Sa porte est fermée à tous les jeunes gens de la ville, et personne ne peut l’approcher. ».
D’autre part, les caractères antithétiques des deux amis sont, encore une fois, soulignés par le chiasme, figure d’opposition :
« Coelio- Faut-il te parler franchement ? ne te riras pas de moi ? Octave- Laisse-moi rire de toi, et parle franchement.
Et c’est au cours d’une réplique bien préventive, que Coelio voit Marianne détournant la rue :
« Coelio- le souffle de ma vie est à Marianne ; elle peut d’un mot de ses lèvres l’anéantir ou l’embraser ? Vivre pour une autre me serait plus difficile que de mourir pour elle : ou je réussirai ou je me tuerais. Silence ! la voilà qui détourne la rue. ».
Après quoi, Octave lui promet de ne pas le tromper, tout en lui faisant une sorte de serment qu’il respectera jusqu’à la fin de la pièce. Coelio sort (bien entendu, sans aucun changement de la scène), laissant son ami aborder Marianne.
4/ Enfin, la quatrième unité de sens, commence avec l’entrée en scène de Marianne. Octave l’accoste fait de son mieux pour la convaincre d’accepter l’amour de Coelio, mais en vain : Octave, le beau parleur qu’il est, aborde Marianne avec aisance. Il lui révèle la grande passion qu’éprouve pour elle Coelio, dans un style bien imagé témoignant du grand séducteur et libertin qu’il est :
« Octave-- JE (…) vous supplie de vous arrêter pour l’entendre. Cruelle Marianne vos yeux ont causé bien du mal, et vos paroles ne sont pas faites pour le guérir. Que vous avait fait Coelio ?
Marianne-- De qui parlez-vous, et quel mal ai-je causé ?
Octave—Un mal le plus cruel de tous, car c’est un mal sans espérance ; le plus terrible, car c’est un mal qui se chérit lui-même et repousse la coupe salutaire jusque dans la main de l’amitié, un mal qui fait pâlir les lèvres sous des poisons plus doux que l’ambroisie, et qui fond en une pluie de larmes le cœur le plus dur comme la perle de Cléopâtre ; un mal que tous les aromates, toute la science humaine ne saurait soulager, et qui se nourrit du vent qui passe, du parfum d’une rose fanée du refrain d’une chanson, et qui suce l’éternel aliment de ses souffrances dans tout ce qui l’entoure, comme une abeille son miel dans tous les buissons d’un jardin. ».
Devant tant de belles images, Marianne ne peut qu’être séduite, et demande à Octave de lui dire le nom de ce mal qu’elle feint d'ignorer. Et les deux personnages entrent, ainsi, dans un jeu de séduction. Toutefois, Octave est tenu par la promesse qu’il a faite à son ami. Quoiqu’il soit séduit par « les beaux yeux de Marianne », il est contraint de refuser de prononcer ce nom, comme elle le désire. De même, il lui affirme que « son nom n’existe pas sans lui », et que seul Coelio est digne de le prononcer.
Le spectateur/lecteur comprend que Marianne n’est pas du tout intéressée par Coelio qu’elle feint de ne pas connaitre, et que dès lors, elle est séduite par Octave.
Ainsi, les deux actions qui ponctuent « Les caprices de Marianne », sont désormais annoncées.